Regard sur l’agroforesterie #1 — La “glandée” des porcs

Amandine Galibert
Anthropocene 2050
Published in
5 min readMar 16, 2021

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Embarquez pour un tour du monde de l’agroforesterie et découvrez ces systèmes de productions agricoles alliant l’élevage, les cultures et les milieux arborés sur les continents asiatique, africain, américain et européen ! Solution face au changement climatique et à l’insécurité alimentaire, moyen de diversification des sources de revenus et de développement de systèmes agricoles durables, l’agroforesterie répond à de multiples enjeux passés, actuels et futurs.

** 1ère destination : Les Pyrénées centrales (France — Europe) **

Le terme de “glandée” vous dit sûrement quelque chose mais détrompez vous, il n’a pas le sens que nous lui accordons aujourd’hui. Quelle est l’origine de cette expression ? Pour répondre à cette question, il faut remonter à l’époque médiévale où le porc était un animal de la...forêt ! Chaque automne, les paysans menaient leurs cochons dans les forêts voisines dont la litière était jonchée de glands et de châtaignes. Les porcs s’en nourrissaient ou autrement dit “glandaient”.

Source : Vikidia

La coutume de la “glandée” disparait au XVIème siècle avec le déboisement important que connait la France. Les terres cultivables prennent le pas sur la forêt. Les céréales et les pommes de terre deviennent les aliments de base des porcs. Il s’en suit une industrialisation de l’élevage porcin dès le XIXème siècle qui réduit encore davantage l’exploration de la nature par les porcs.

Rétablir un lien entre les porcs et les espaces forestiers, c’est ce à quoi est parvenu un collectif d’une soixantaine d’éleveurs pyrénéens. Ils élèvent aujourd’hui une race porcine rustique au sein des Pyrénées centrales : le Porc Noir de Bigorre.

Sauver une race en voie de disparition

La race Porc Noir de Bigorre est élevée majoritairement dans le Piémont des Pyrénées centrales au sein des régions de Bigorre, de l’Astarac et de Comminges. Au début des années 1980, on ne comptait plus que 2 mâles et une trentaine de truies de cette race…la faute à l’élevage intensif auquel ces porcs ne peuvent pas s’adapter du fait de leur “trop lente” croissance et de leur “trop faible” productivité. Eleveurs, salaisonniers et artisans charcutiers du territoire de Bigorre se sont alors lancés le défi de reconstruire une filière Porcs Noirs de Bigorre pour sauver la race et revaloriser les pratiques d’élevage traditionnelles de la région. La Région Midi Pyrénées les a soutenus dans le cadre d’un Programme de sauvegarde du patrimoine. Aujourd’hui une soixantaine d’éleveurs élèvent plus de 7500 porcs sur le territoire.

L’agroforesterie comme moyen de recréer un lien avec la forêt

L’agroforesterie est un mode de production qui réunit en un même lieu l’élevage ou les cultures et les arbres. Ces arbres peuvent être plantés dans le but de créer un système agroforestier mais les agriculteurs peuvent aussi bénéficier des milieux forestiers naturellement présents dans l’environnement de leur exploitation agricole.

Les éleveurs de Porcs Noirs de Bigorre ont recours à un système de production de ce type. Le parcours de pâturage libre, qui fait partie intégrante du cycle de production des porcs, comprend des zones prairiales et des sous-bois. A l’automne, la forêt offre aux porcs une source de nourriture diversifiée : des fruits comme les glands et les châtaignes, des racines, des vers de terre et des insectes. Ces aliments permettent de compléter les apports nutritionnels apportés par l’herbe. Ils représentent pour l’éleveur une source d’alimentation naturelle qu’il n’a donc pas à produire et à apporter lui-même à son bétail. On peut rappeler dans cette perspective qu’une majorité des terres agricoles mondiale est dédiée à la production de nourriture pour les animaux d’élevage.

Au-delà de permettre une diversification de l’alimentation, le pâturage en sous-bois protège les porcs de la chaleur et du vent et assure ainsi leur bien-être. La présence de zones ombragées limite le déssèchement de l’herbe en été et contribue à rallonger la période de pâture estivale.

Source : Pierre Matayron

Des bénéfices pour l’écosystème forestier

La forêt apporte des bénéfices à l’élevage des porcs mais l’usage de ce milieu par les animaux génère également des externalités positives. Le pâturage en sous-bois contribue en effet à l’entretien de milieux difficilement cultivables. Les porcs grattent, fouillent le sol et enfouissent ainsi des graines qui pourront par la suite germer. Leur présence limite également la prolifération de certains insectes. Ceci favorise la préservation de la biodiversité du milieu. Néanmoins, il est nécessaire que les porcs pâturent différents endroits. Une occupation trop longue de la même zone de sous-bois, comme de prairies, peut mener à une dégradation du milieu.

Un porc à la typicité reconnue

La diversité de l’alimentation des Porcs Noirs de Bigorre confère à la viande un goût atypique. L’herbe, les glands, les châtaignes et les insectes ont des composés aromatiques qui influencent les caractéristiques organoleptiques de la viande. Celle-ci a une qualité nutritionnelle également supérieure. En 2015, deux Appellations d’Origine Contrôlée (AOC) ont été créées : les appellations “Porc Noir de Bigorre” et “Jambon Noir de Bigorre”. Elles deviennent des Appellations d’Origine Protégée (AOP) en 2017. La typicité de cet élevage, des produits qui en sont issus, et le travail des éleveurs de cette filière sont ainsi récompensés et reconnus jusqu’à un niveau européen.

Aujourd’hui, les produits charcutiers issus de l’élevage du Porc Noir de Bigorre font partie intégrante du patrimoine culturel et gastronomique des Pyrénées centrales. Cette filière qui élèvent les porcs en utilisant les ressources du milieu naturel sans surexploiter ces dernières offre une alternative à l’élevage industriel en misant sur la qualité et la typicité du produit, en assurant le bien-être de l’animal, en perpétuant des techniques d’élevage ancestrales et en valorisant le terroir régional.

Comment ce cas d’étude témoigne-t-il des potentialités de l’agroforesterie ?

L’exemple de l’élevage du Porc Noir de Bigorre montre les bénéfices réciproques que l’écosystème forestier amène aux porcs et que l’élevage peut apporter aux sous-bois d’un point de vue environnemental. Les éleveurs tirent des avantages économiques de ce système agroforestier qui leur permet de diminuer leurs coûts de production liés à l’alimentation de leurs animaux et de mieux valoriser les produits qu’ils commercialisent.

Ce système d’élevage parait vertueux mais peut-il être généralisé à l’ensemble des élevages porcins ? Difficilement. Les porcs élevés exclusivement en bâtiment sont souvent le fruit de croisements et de sélections qui ont permis d’aboutir à une meilleure productivité. Ces derniers peuvent présenter des fragilités au niveau de leur système immunitaire et une sensibilité au stress élevée qui peut limiter leur capacité d’adaptation aux conditions de l’environnement extérieur. Ce sont essentiellement les races rustiques qui sont élevées en plein air aujourd’hui.

Si le sujet de l’élevage porcin agroforestier vous intéresse, découvrez aussi La Dehesa espagnole et le Montado portugais, forêts peuplées principalement de chênes verts et de chênes lièges où pâturent les porcs de races Ibérique et Bísaro.

Sources :

ASSOCIATION FRANÇAISE D’AGROFORESTERIE, [s.d.]. Agroforesterie et élevage porcin — produire et protéger . In : Association Française d’Agroforesterie.

BRUN, P. Scheercousse, V., 2016. De l’arbre et du cochon. In : La revue Viandes et produits carnés, articles scientifiques. 25 février 2016.

CHEVAL, Agathe, 2018. Quelle place pour l’élevage dans la valorisation des sous-bois de Guadeloupe? PhD Thesis. S.l. : URZ-Unité de Recherches Zootechniques.

Le Noir de Bigorre — Le Noir de Bigorre.

Porc Noir de Bigorre AOP | Irqualim — Produits d’Origine et de Qualité d’Occitanie.

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