Regard sur l’agroforesterie #3 — Caféiers et cacaoyers face à la déforestation

Amandine Galibert
Anthropocene 2050
Published in
10 min readAug 7, 2021

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Embarquez pour un tour du monde de l’agroforesterie et découvrez ces systèmes de productions agricoles alliant l’élevage, les cultures et les milieux arborés sur les continents asiatique, africain, américain et européen ! Solution face au changement climatique et à l’insécurité alimentaire, moyen de diversification des sources de revenus et de développement de systèmes agricoles durables, l’agroforesterie répond à de multiples enjeux passés, actuels et futurs.

** 3ème destination : Le Pérou (Amérique du Sud) **

1,97 millions d’hectares, c’est la surface de l’Amazonie Péruvienne disparue entre 2001 et 2016. L’orpaillage clandestin, les coupes de bois illégales, le narcotrafic et l’agriculture grignoteraient une surface forestière équivalente à 200 000 terrains de football chaque année au Pérou, non sans conséquences sur les peuples autochtones, l’environnement et le climat.

Quelles menaces planent aujourd’hui sur l’Amazonie Péruvienne et comment l’agroforesterie peut-elle aider à y faire face ? Des pistes dans cet article !

Mosaïque d’arbres de l’Amazonie ⓒFondation Ensemble

L’Amazonie Péruvienne : un écosystème mis à mal…

La forêt amazonienne occupe un tiers du territoire péruvien soit 69 millions d’hectares en 2015. Face au changement climatique, son rôle était précieux dans la séquestration du carbone mais elle semble être aujourd’hui émettrice de carbone. Après plusieurs décennies d’exploitation massive et d’absence de régulation des différents usages, l’Amazonie péruvienne s’essouffle… sa biodiversité et ses peuples autochtones avec.

Commerce du bois : une menace pour les communautés indigènes et la forêt

La forêt péruvienne abrite des essences d’arbres rares dont l’exploitation est illégale. C’est le cas du mahogany, arbre faisant partie de la famille des acajous et dont le bois de couleur rougeâtre est hautement convoité pour la fabrication de meubles de qualité. Le prix de leur bois étant très élevé sur le marché mondial, des bûcherons n’hésitent pas à pénétrer et déforester les parcelles de bois sur les territoires autochtones. Certaines communautés s’étaient vus attribuer des parcelles par le gouvernement dans les années 1980 pour « développer l’agroforesterie et protéger certaines espèces d’arbres ». Et pourtant, quelques décennies plus tard, en 2014, le ministère de l’agriculture a modifié les limites de propriété. S’ajoute à cela la corruption dans le système d’attribution des concessions qui rend injustement légale la commercialisation de bois prélevés dans des zones de l’Amazonie Péruvienne où les coupes sont pourtant interdites. Ainsi, entre mars et mai 2014, plus de 6 millions de mètres cubes de bois d’espèces protégées qui n’avaient pas de certification légale garantissant leur origine ont été saisis par la Surintendance des douanes et de l’administration des impôts (SUNAT). La valeur de ce bois issu de coupes illégales était estimée à plus de 20 millions de dollars. Selon la Banque mondiale entre 80% et 90% du bois qu’exporte le Pérou, principalement vers la Chine et d’autres marchés asiatiques, est issu de coupes illégales.

Face à ceux qui exploitent illégalement leurs terres, certaines communautés élèvent leur voix en déposant plainte, en filmant des scènes de déforestation illégale et en révélant l’identité des personnes réalisant les coupes de bois. La mafia à la tête de ce trafic réagit en semant la terreur et en assassinant les dénonciateurs. La mise à mort de quatre personnes asháninkas de la communauté d’Alto Tamaya Saweto par des exploitants forestiers en septembre 2014 a fait réagir le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits humains qui a alors exigé de la part du gouvernement péruvien que les communautés autochtones soient protégées et les responsables de l’assassinat jugés et sanctionnés.

L’insécurité des communautés autochtones face aux trafiquants n’est pas seulement liée à des actes de violence. La déforestation mène également à une promiscuité plus importante entre les espèces animales, elles-mêmes, et les espèces animales et les humains au sein des écosystèmes. Avec un habitat de plus en plus rogné, la faune se concentre dans un espace de plus en plus réduit ce qui favorise le développement de maladies et virus pouvant évoluer en zoonoses quand l’interface entre les humains et le monde sauvage devient plus importante.

L’orpaillage illégal : pollution et appauvrissement des sols

Le bois n’est pas la seule ressource convoitée au Pérou. Le pays est le 7ème producteur d’or au monde. Ce minerai est essentiellement prélevé dans la région de Madre de Dios.

Département du Madre de Dios au Pérou ⓒWikipédia

Au Pérou, la ruée vers l’or a débuté au milieu des années 2000. Faisant face au sous-emploi, les communautés des Andes ont migré vers le département de Madre de Dios en quête de revenus. L’envolée des cours de l’or+500% entre 2000 et 2013 — a contribué à l’essor de l’orpaillage. Alors qu’un tiers des Andins vivent avec moins de 2 dollars par jour, les orpailleurs parviennent à gagner jusqu’à 50 dollars quotidiennement. La construction de la route interocéanique a accéléré les migrations et a facilité la connexion du département de Madre de Dios avec les autres territoires. Ainsi, depuis 2016, 200 camps d’orpailleurs ont vu le jour. Au sud du département, la multiplication de ces camps d’orpailleurs a abouti à la création de La Pampa, une ville sous l’emprise des gangs. Cette ville est une zone de non-droits où se déroulent trafic humain et exploitation sexuelle des femmes.

Un rapport de l’Initiative Mondiale contre le crime organisé indique que 90% de l’or extrait dans la région est issu de mines artisanales ou illégales. La réserve nationale de Tambopata abritée par la région de Madre de Dios a bel et bien failli disparaitre. Si jusqu’en 2015 les mineurs se trouvaient dans la zone tampon, ils ont ensuite pénétré le coeur de la réserve et ont détruit 759 ha de forêts primaires. Malgré plusieurs tentatives d’évacuation, ce n’est qu’en 2017 que la marine péruvienne et le Service National des Espaces Naturels Protégés sont parvenus à repousser les orpailleurs en-dehors de la réserve protégée. L’opération Mercuri, déclenchée par le gouvernement péruvien en 2019 et mobilisant 300 militaires et 1 200 policiers, a permis de chasser les orpailleurs de la zone tampon de la réserve. La Pampa qui comptait 30 000 habitants, n’en réunit aujourd’hui plus que 2 000.

Quelles sont les conséquences de l’orpaillage ? Le résultat en image …

Assèchement et formation d’étangs de mercure dans la région de Madre de Dios ⓒScience et Avenir

Déforestation, assèchement et appauvrissement des sols, formation de 30 000 étangs pollués au mercure (métal agrégeant les paillettes d’or): triste résultat de l’orpaillage illégal. Si pour le moment les études ne révèlent pas une contamination élevée des êtres vivants de la chaine alimentaire au mercure, les risques sanitaires pour les populations locales sont bien réels. Les sols mis à nu sont entièrement lessivés par les pluies tropicales et se retrouvent dépourvus de tout nutriment. Les populations indigènes, dont la vie dépend des ressources naturellement fournies par la forêt et les rivières, sont menacées.

Même si aujourd’hui le gouvernement est parvenu à intervenir, les activités d’orpaillage illégal continuent et les populations indigènes voient leur milieu de vie disparaitre petit à petit.

Agriculture : entre système traditionnel et cultures industrielles

Les zones tropicales subissent une déforestation importante pour répondre à la demande mondiale croissante en produits agricoles tels que le soja, l’huile de palme, le caoutchouc ou le café. Ce mode d’exploitation intensive des terres est soutenu par les politiques nationales des pays d’Amérique Latine qui tendent à favoriser la libre exploitation des ressources. Pour les propriétaires de grandes surfaces agricoles, il est plus intéressant économiquement de faire de l’agriculture intensive.

Région de San Martin au Pérou ⓒWikipédia

Au Pérou, dans la région de San Martin, les systèmes agricoles ont considérablement évolué depuis les années 1960. Tout comme dans le Département de Madre Dios, la création d’un axe routier (Fernando Belaunde Terry) parallèlement à l’implantation de cultures commerciales de coca dans les années 1980 a engendré des migrations de certains peuples vers cette région. Tout en générant un boom économique, l’expansion des cultures de coca est allée de pair avec le défrichage de zones forestières. A partir de 1995, la déforestation s’est accélérée pour aboutir à 30% du département déjà déboisé pour les activités agricoles en l’an 2000. Au début des années 2000, le changement d’échelle de gestion des zones forestières n’a pas contribué à lutter contre la déforestation. Au contraire, le gouvernement régional à la tête du Département de San Martin entre 2007 et 2015 a mené un programme politique orienté vers la production agricole intensive. Les productions de café et cacao ont augmenté et des terres ont été mises en culture pour produire de l’huile de palme.

Déforestation pour la mise en culture ⓒEnvironmental Investigation Agency

La création de ces zones de production commerciale intensive s’est faite sans prendre en compte les communautés autochtones Kechwa-Lamas. Des conflits émergent entre ces peuples et les migrants qui viennent travailler dans les plantations commerciales qui chevauchent parfois les territoires des Kechwas-Lamas. Les populations autochtones voient, de plus, leurs droits d’usage de la forêt être limités suite à la création, par le gouvernement, de l’aire de conservation régionale Cordillera-Escalera et des zones de conservation et de récupération d’écosystèmes. Ces zones de protection recouvrent près de 70% du territoire de la région et mènent à “l’exclusion des populations autochtones” qui sont dépossédés de leurs droits coutumiers d’utilisation de leurs terres. L’objectif pour le gouvernement est de compenser le grignotage de la forêt qui se déroule dans certains zones géographiques en limitant la déforestation et en contrôlant l’accès et l’utilisation de la forêt ailleurs. Ainsi, quarante-deux villages revendiqueraient la propriété de 120 à 50 000 ha de terres au sein de l’aire de conservation régionale Cordillera-Escalera.

Des projets agroforestiers pour reforester

Plusieurs projets de reboisement et d’agroforesterie ont vu le jour ces dernières années afin de préserver et restaurer la forêt péruvienne.

Cacaoyers et caféiers en système agroforestier dans les régions de Junin et San Martin

Les régions de Junin et San Martin sont les plus déboisées du Pérou. Si dans la région de San Martin la déforestation est essentiellement liée à la culture de coca, dans la région de Junin ce sont les systèmes agricoles en monocultures intensives amenés par les colons qui contribuent à la perte de fertilité des terres. Tous les trois ans, les agriculteurs brûlent de nouvelles terres pour implanter de nouvelles cultures. Ce système de production est qualifiée d’agriculture migratoire.

En 2009, l’association Envol Vert a initié un projet de reforestation avec la Red Centra de Capatura de Carbono et grâce au soutien d’AVSF (Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières) et CO2 Consultores. Les administrations publiques locales sont impliquées dans le projet d’Envol Vert en apportant des moyens humains (techniciens) et matériels (moyens d’analyses de données). Des terres sont reboisées avec des cultures de café et cacao accompagnées de plantation d’essences d’arbres natives des deux régions. Ces arbres visent à apporter des nutriments aux parcelles de cultures, à favoriser la biodiversité (habitats pour les insectes pollinisateurs et les insectes auxiliaires) et à générer de nouveaux revenus pour les paysans. Les plantations en agroforesterie sont plus rémunératrices sur le long terme grâce à la plantation, la coupe et la commercialisation d’essences d’arbres très demandées sur le marché mondial telles que le cèdre, l’acajou ou l’amburana.

A Pichanaki (région de Junin), 250 producteurs sont impliqués dans un projet de reboisement de 600 ha. A Tocache (région de San Martin), ce sont 1250 familles qui contribuent au reboisement de 2000 à 3000 ha de terres en agroforesterie et massifs forestiers. Au sein de ces deux régions, les coopératives de café et cacao jouent un rôle central en informant les producteurs locaux et en mettent à profit l’expertise de leurs techniciens pour le diagnostic et le suivi des plantations. Les certifications FairTrade (commerce équitable) et Agriculture Biologique s’appliquent aux cultures et garantissent aux producteurs une meilleure valorisation financière des productions de café et cacao.

La hausse de la fertilité des terres permise par les systèmes agroforestiers et les revenus supplémentaires qu’apporte la plantation d’arbres contribuent à limiter la création de nouvelles parcelles agricoles au sein de la forêt.

Projet agroforestier pour restaurer les sols de la région de Loreto

La région de Loreto est située à l’extrémité nord du Pérou. Elle connait deux problématiques environnementales majeures. D’une part, elle est victime de la surexploitation de la forêt avec plus de 75% du bois extrait qui serait issu de coupes illégales. D’autre part, cette région a connu l’arrivée de migrants provenant de la Sierra et dont les pratiques agricoles reposent sur l’élimination de la forêt par coupe et brûlis. Les principales sources de revenus pour les habitants de cette région sont le bois et le charbon.

La Fondation GoodPlanet et l’ONG Latitud Sur ont lancé un projet de reboisement de 200 ha de zones dégradées. Ce projet vise à réhabiliter les zones de forêt dégradées, à lutter contre l’érosion et la déforestation, à préserver les ressources naturelles, à favoriser le développement de la biodiversité, et à lutter contre le réchauffement climatique en augmentant la séquestration du carbone. La conduite des parcelles agricoles en système agroforestier permettra également de diversifier les sources de revenus et préserver le patrimoine naturel pour les futures générations. Les parcelles agroforestières allient plantation d’arbres fruitiers et cultures de plantes médicinales et alimentaires.

Avec un système de production plus durable et des revenus plus importants, les communautés ont progressivement arrêté la vente du charbon et les coupes de bois illégales.

Pour conclure, plusieurs décennies de coupes de bois illégales, d’orpaillage clandestin et d’exploitation agricole intensive ont mis l’Amazonie péruvienne à rude épreuve. Des répercussions graves sont visibles sur l’environnement mais également sur les populations locales : accaparement des terres, insécurité, contamination des écosystèmes… Les projets agroforestiers semblent apporter des solutions pour restaurer les milieux et leurs biodiversité, ainsi que pour assurer des revenus plus diversifiés aux populations locales. Ils contribuent à diminuer les usages non durables des ressources. Véritable sanctuaire de biodiversité, l’Amazonie Péruvienne abrite 1847 espèces végétales, 755 espèces d’oiseaux et 259 espèces de poissons. Grâce à elle, le Pérou fait partie des 17 pays « mégadivers » de la planète abritant plus de 70% de la biodiversité mondiale, essentiellement sur les territoires autochtones.

Pour approfondir ce thème :

ARTE Reportage :
Pérou : l’or à tout prix réalisé par Carl Gierstorfer en 2019
Amazonie — Enquête au coeur des luttes indigènes réalisé par Estêvão Ciavatta en 2020

Principales sources :

La déforestation au Pérou, un grave problème, Dossier Les peuples indigènes menacés, 04/06/2020, Futura Sciences

Pérou : l’or à tout prix, ARTE Reportage, réalisé par Carl Gierstorfer en 2019

Action Carbone Solidaire — Reforestation et jardins agroforestiers au Pérou, Fondation Good Planet

Reforester l’Amazonie, le pari fou du Pérou, Sciences et Avenir, 07/04/2020, Marie-Laure Théodule et Olivier Donnars

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