Regard sur l’agroforesterie #2 — L’Oasis en Péril

Amandine Galibert
Anthropocene 2050
Published in
12 min readApr 25, 2021

--

Embarquez pour un tour du monde de l’agroforesterie et découvrez ces systèmes de productions agricoles alliant l’élevage, les cultures et les milieux arborés sur les continents asiatique, africain, américain et européen ! Solution face au changement climatique et à l’insécurité alimentaire, moyen de diversification des sources de revenus et de développement de systèmes agricoles durables, l’agroforesterie répond à de multiples enjeux passés, actuels et futurs.

** 2ème destination : Les oasis du Maghreb (Afrique) **

Manifestation de la vie au milieu de paysages inhospitaliers, les oasis recouvrent 350 000 ha de la planète et abriteraient 2% de notre population. Implantées dans les zones arides, elles ont été façonnées et entretenues par l’Homme, depuis plus de deux millénaires, en se fondant sur un modèle de production agroforestier et d’un système de gestion de l’eau très perfectionné. Mais les oasis, longtemps sources de bénéfices alimentaires et financiers, sont aujourd’hui menacées par l’avancée du désert, le changement climatique, l’exode rural et le passage d’une agriculture vivrière à commerciale.

Quelles sont les bénéfices des oasis et comment les préserver ? C’est ce à quoi cet article tente de répondre.

Oasis de la ville de Tinerhir située dans l’Anti-Atlas au Maroc — ⓒGuillén Pérez

L’oasis : une étape sur les routes commerciales

Les premières formes d’oasis seraient apparues 3000 ans av. J. C. dans le Golfe Persique. Entre le VIIIème et le XIVème siècle, elles étaient des points de passage stratégiques pour les caravaniers parcourant la route de l’Or - reliant le Sahara au Sahel - et la route de la Soie, menant de la Chine aux côtes méditerranéennes. Lieu de repos pour les nomades qui les atteignaient, elles représent(ai)ent l’abondance et le paradis d’après l’étymologie égyptienne.

Plusieurs histoires et légendes cherchent à résoudre l’énigme de l’apparition des palmiers dattiers au beau milieu du désert. La théorie dite “diffusionniste est régulièrement évoquée, considérant que les palmiers dattiers ne seraient pas natifs du Sahara mais viendraient d’Irak, d’Arabie, voire précisément de La Mecque. A contrario, selon le peuple Berbère, le palmier dattier serait une espèce autochtone du Sahara initialement présente à l’état sauvage. Les Hommes l’auraient domestiquée après avoir vu un petit garçon survivre à l’ingestion d’une datte qui était tombée à ses pieds. La consommation de dattes par les caravaniers et populations oasiennes et le crachat des noyaux au sol auraient perpétué l’implantation des palmiers dattiers.

Ces écrins de vie végétale au milieu du désert ont vu peu à peu une partie de leurs usagers se sédentariser et des villages entiers se former. Au fil des siècles, les oasis ont en outre été témoins de conflits, de batailles et ont subi des dégâts climatiques.

Une mosaïque végétale

Traditionnellement, une oasis est composée d’une juxtaposition de jardins ayant chacun leur propriétaire. Ces jardins sont composés de trois strates végétales. La strate la plus haute est celle des palmiers dattiers pouvant culminer jusqu’à 30 mètres de hauteur. L’étage végétal intermédiaire correspond à la strate arbustive composée de vignes, d’oliviers ou d’arbres fruitiers tels que les orangers, les grenadiers, ou encore les pêchers. Enfin la dernière strate se situe à ras le sol et est dédiée à la culture de fourrage, céréales, légumes et plantes aromatiques.

Parcelle maraichère au sein d’une oasis mauritanienne — © De Agostini via Getty Images

Dans un contexte climatique caractérisé par de faibles précipitations et une amplitude thermique allant de 0°C la nuit à 60°C le jour selon les saisons, cette superposition végétale crée des conditions uniques au développement des cultures en zones arides. C’est ce qu’on appelle “l’effet oasis” : un microclimat humide propre à l’oasis.

Comment une telle mosaïque végétale peut-elle exister en plein désert ?

Une véritable association est créée entre la strate des palmiers dattiers et celles qui lui sont inférieures.

Le palmier dattier a la particularité d’être très tolérant à la chaleur. Ses palmes sont enduites d’un “vernis” qui renvoie une partie des rayons du soleil, ce qui limite donc le phénomène d’évapotranspiration. Son tronc est couvert de fibres mortes qui forment un manteau isolant et ralentissent sa montée en température. Placé au front des rayons du soleil, il prend le rôle de “parasol” en protégeant les espèces végétales des strates inférieures qui, elles, craignent la chaleur.

Pour ce qui est de l’eau et des nutriments, le palmier dattier est très gourmand en eau mais son double système racinaire lui permet à la fois de puiser l’eau et les minéraux en profondeur, et de les diffuser dans les horizons du sol accessibles aux racines des arbres fruitiers et des cultures. L’eau absorbée par les racines des arbustes et cultures s’évapore la journée par le système foliaire tout en restant piégée en-dessous des larges palmes des palmiers dattiers. La nuit, avec la baisse des températures, cette humidité maintenue dans l’oasis se condense et forme des gouttelettes sur les arbustes et cultures qui pourront donc bénéficier de cette eau pour le lendemain.

Composition et fonctionnalités des strates végétales — ⓒNovaTerra

Des études ont montré que la présence d’oasis, et plus particulièrement de “l’effet oasis”, a des répercussions sur le climat régional en augmentant les probabilités de précipitations. En effet, malgré un système foliaire qui limite l’évapotranspiration, les palmiers rejettent tout de même 5 000 litres d’eau par hectare et par jour dans l’atmosphère. Ce cycle vertueux d’assimilation et d’évaporation de l’eau par les végétaux permet de rafraichir l’environnement et ainsi de créer des conditions propices à l’agriculture, à l’élevage et à la vie des communautés oasiennes.

Îlot de fertilité et réservoir de biodiversité

La densité de végétation qui caractérise les oasis contribue à une meilleure stabilité du sol, une meilleure infiltration des minéraux, la rétention de l’eau dans le sol, et un apport conséquent de matières organiques issues de la décomposition des parties mortes des végétaux. L’ensemble de ces conditions favorisent le développement d’une vie biologique souterraine riche (champignons, bactéries).

Les oasis abritent également un patrimoine végétal et animal endémique. La grenade de Gabès en Tunisie, les brebis D’man du Draa ou encore les dattes Bofgousses de Tata au Maroc sont les espèces endémiques les plus connues. Afin de reconnaitre les oasis en tant que conservatoires, la réserve de biosphère des oasis sud marocaines a été créée par l’Unesco en 2000. Avec une superficie de 7 200 000 ha, cette réserve couvre les provinces d’Errachidia, Ouarzazate et Zagora. Mises bout à bout, les oasis forment des corridors écologiques qui facilitent la migration des oiseaux européens au printemps et à l’automne.

L’éventail d’usages du palmier dattier

Outre son rôle pilier dans ce système agroforestier, le palmier dattier est traditionnellement utilisé par les oasiens de multiples façons. Toutes les parties du palmier dattier sont valorisées.

Les ressources issues du palmier dattier qui sont les plus utilisées sont les dattes. Un seul palmier dattier peut produire jusqu’à 100 kg de dattes par an. Les dattes sont ramassées en octobre et sont consommées fraiches, séchées, sous forme de vinaigre ou de confiture, en purée, ou pour l’alimentation du bétail. Les palmes, elles, constituent un matériau idéal pour la vannerie et la fabrication de toiture, mais font également guise de litière pour les animaux. Les “raquettes” (parties situées au point de ramification des palmes) font office de combustibles et de supports pour les sculptures sur bois. Les fibres du tronc servent à la fabrication de cordes. Enfin, le bois du tronc est utilisé pour la construction de charpentes et de meubles.

Récolte des dattes produites dans l’Oasis d’Erfoud au Maroc — ⓒFadel SENNA pour l’AFP

Le palmier dattier est donc un support essentiel à la vie des cultures et arbustes qu’il abrite, mais est également une ressource alimentaire, matérielle et économique pour les communautés oasiennes. Sa culture génère entre 20 et 60% des revenus agricoles pour plus de 1,6 millions d’habitants des régions du Sahara.

La gestion de l’eau : condition sine qua non de l’existence des oasis

L’implantation et la survie des espèces végétales, en particulier des arbustes et cultures, a été permise par la mise en place de réseaux et infrastructures hydrauliques (puits, canaux, barrages) permettant d’acheminer une ressource rare dans le désert... l’eau. Sans l’intervention de l’Homme, les oasis retrouvent leur état naturel désertique.

Cette mise en circulation de l’eau par l’Homme est le fruit d’une organisation spatiale et est la base d’une organisation sociale qui s’est perpétuée au fil des siècles. L’eau est partagée quotidiennement entre tous les oasiens dans le respect de règles de gestion définies. Les oasiens ouvrent leurs barrages pour un temps d’arrosage déterminé. Chaque parcelle peut être irriguée grâce à la création d’un réseau de canaux d’irrigation à ciel ouvert appelés seguias et segmentés par plusieurs barrages.

D’où provient cette eau ?

L’eau irriguant les oasis a deux origines : les montagnes et les nappes souterraines. Les oasis situées à proximité des flancs de montagne - par exemple dans le désert de l’Atlas - sont approvisionnées par les rivières se formant à la fonte des neiges et par le ruissellement des eaux de pluies. Dans le cas des oasis situées dans les plaines désertiques, les oasiens mettent en place des puits pour forer dans les nappes, elles-mêmes alimentées par la fonte des neiges et les eaux de ruissellement.

L’oasis : un écosystème menacé

Aujourd’hui , l’existence des oasis est remise en cause par des facteurs environnementaux, tels que le changement climatique, et des facteurs socio-économiques, comme l’exode rural et l’intensification de l’agriculture.

Changement climatique : de l’eau à l’or bleu

Même si les oasis se développent dans les zones arides, elles n’en sont pas moins impactées par le changement climatique et la montée des températures. Le GIEC estime qu’à l’horizon 2060, les zones arides verront leur pluviométrie diminuer de 50% et leur température augmenter de 2°C en hiver à 5°C en été dans le pire des scénarios. Les sécheresses seront également de plus en plus fréquentes. Dans la région du Gabès en Tunisie, les impacts du changement climatique sont déjà bien visibles. A Chenini, le débit des sources d’eau utilisées dans l’oasis est passé de 560 L/s à 136 L/s entre 1960 et 2000. Le volume d’eau disponible baisse alors que la croissance démographique laisse présager une augmentation du besoin en eau. A l’échelle mondiale, il est estimé que 290 millions de personnes feront face à des pénuries d’eau en 2050.

Cette raréfaction de la ressource en eau a un impact direct sur l’avenir des oasis. Sans eau, les communautés et l’oasis ne peuvent survivre, les terres retournent à leur état initial de désert. Les répercussions de la sécheresse sont les plus visibles dans les oasis qui se sont urbanisées et où les nappes phréatiques ont été surexploitées. En l’espace d’un siècle, le Maroc a vu disparaitre deux tiers de ses oasis.

Crises sociale et économique : marginalisation de l’organisation traditionnelle

Depuis quelques années, la crise économique qui touche les territoires arides nord africains et les politiques d’investissements dans le milieu agricole tendent à orienter l’agriculture traditionnelle, jusqu’ici vivrière, vers une agriculture marchande. Les paysans perdent leur pouvoir face à des opérateurs économiques, parfois étrangers, qui prennent le contrôle des filières et absorbent une grande part de la valeur ajoutée des productions. Ce passage à une agriculture commerciale et à une modernisation de la production mène à l’abandon des modes d’organisations ancestraux. Les pompages individuels se multiplient dans le non-respect des règles historiques de partage de la ressource en eau. Certaines oasis abritent des monocultures de variétés de palmiers dattiers à haut rendement ayant un besoin en eau et en fertilisants élevé et nécessitant des traitements par produits phytosanitaires. Ces produits chimiques contaminent les eaux usées qui retournent à la terre sans avoir été préalablement traitées et recyclées. En 2000, 15% des eaux de l’oasis de Figuig au Maroc étaient contaminées. Il en résulte des problèmes de santé chez les communautés oasiennes.

Cette perte des savoir-faire et du patrimoine culturel oasien est renforcée par l’augmentation de la concurrence entre les usages des oasis. En effet, des conflits émergent entre les activités agricoles, industrielles, touristiques et les besoins domestiques.

Renaissance des oasis : de l’implication des communautés locales aux projets pharaoniques

Les crises écologique, économique et sociale touchant de plein fouet les oasis du Maghreb engendrent une urbanisation des palmeraies et un exode rural de la jeunesse. Le désert gagne du terrain sur les oasis délaissés perdant ainsi leur fertilité.

Ancien village tunisien piégé par l’avancée du désert — ⓒInstitut de Recherche pour le Développement

Plusieurs associations et entreprises se sont saisies du problème et mènent aujourd’hui des projets de création d’oasis. C’est le cas d’ Acacias for All qui a recréé 14 oasis en Tunisie par la responsabilisation d’ambassadeurs locaux. Plus de 200 000 arbres dont 100 000 acacias (rôle semblable à celui du palmier dattier) ont été plantés. A Chenini, l’Association de Sauvegarde de l’Oasis de Chenini (ASOC) a créé un jardin de la biodiversité en valorisant des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement avec la mise en place d’une station de compostage et la certification Agriculture Biologique de la production de grenades. Les semences végétales locales sont également mises à l’honneur en lien avec le Réseau Associatif de Développement Durable des Oasis. Des formations aux métiers de l’artisanat sont proposées aux jeunes oasiens. Enfin, un important projet de réhabilitation de l’oasis de Chenini a été initié. De son côté, la LabOasis Fondation mène différentes actions pour préserver et valoriser le patrimoine culturel existant tout en intégrant les enjeux environnementaux et sociaux : restauration et réutilisation des habitats traditionnels, utilisation d’énergies renouvelables, soutien à l’agropastoralisme pour maintenir la diversité végétale et animale, adaptation des pratiques traditionnelles, implication des femmes, appui à la commercialisation des productions oasiennes, ou encore mise en place d’une offre touristique adaptée pour valoriser les savoir-faire et le patrimoine oasiens.

Avec une toute autre approche, des projets de grande envergure mobilisent des technologies de pointe au Moyen-Orient. En Jordanie, la création d’une oasis artificielle est envisagée dans le cadre du Sahara Forest Project auquel se sont alliées la Norvège et l’Union Européenne. L’oasis artificielle située dans le désert d’Aqaba occupera une surface équivalente à quatre terrains de football. Quel est le but de ce projet ? Produire des fruits et légumes, un volume quotidien de 10 000 litres d’eau douce pour pallier aux pénuries d’eau à venir, et des énergies renouvelables. Comment ? En installant des serres à eau de mer (Seawater Greenhouse technology), des panneaux solaires photovoltaïques, et une unité de désalinisation pour un budget de plusieurs millions d’euros auquel l’UE contribue à hauteur de plus de 700 000 euros. Ci-dessous, une vidéo de présentation d’un projet expérimenté au Qatar et dont Sahara Forest Project se félicite suite aux plébiscites de la FAO (Food and Agricultural Organization) et des médias.

Adieu la biodiversité et la mosaïque végétale des oasis, les paysages et les savoir-faire ancestraux. En se fondant sur un discours inquiet quant à la capacité de nourrir le monde de demain, l’objectif semble être de faire la démonstration de l’aptitude des nouvelles technologies à créer un système de production alimentaire résistant à un environnement aride et au changement climatique. La question de l’appropriation de ces méthodes de production par les populations locales n’est nulle part évoquée. Ce sera pourtant une condition à la durabilité et la résilience des systèmes alimentaires futurs. D’autre part, ce projet est porté par des multinationales visibles ou cachées derrière des fondations (ex: Grieg Foundation). Tara International, partenaire norvégien du projet, est l’un des plus gros distributeurs au monde d’engrais de synthèse… Quelles sont les réelles motivations derrière ce projet ? La sécurité alimentaire de l’Afrique du Nord ou la quête de la prouesse technologique ? La protection de l’environnement et l’adaptation au réchauffement climatique ou le greenwashing des multinationales impliquées ? Ou bien alors le business (dixit Kjetil Stake) ?

Pour conclure cet article et répondre à la question initialement posée, la vie de 150 millions de personnes dépend des oasis. Ces dernières subviennent à leurs besoins alimentaires et financiers. Elles sont le berceau d’une biodiversité reconnue et contribuent à mitiger les effets du changement climatique dans les régions arides. Elles existent grâce à l’héritage d’une organisation sociale basée sur la gestion de la ressource en eau qui s’est perpétuée de génération en génération. Néanmoins, elles sont menacées par les crises écologique, économique et sociale menant à une modernisation et une réorientation de l’agriculture oasienne vers une production agricole commerciale qui marginalise les organisations traditionnelles. Ce changement de modèle, le changement climatique en cours et l’exode rural laissent le désert reprendre sa place.

Face à ce phénomène, deux dynamiques divergent. D’une part : la création de projets qui impliquent les communautés locales et remettent à l’honneur le savoir-faire et le patrimoine oasien. D’autre part : l’implantation de gigantesques oasis artificielles high-tech dont les multinationales et Etats occidentaux sont aux manettes.
Laquelle va s’imposer ? L’avenir des déserts et des communautés oasiennes en dépendra.

Sources principales :

Des oasis contre l’avancée du désert (Bouteloup), Une seule planète

Les oasis : prouesses agroécologiques (Karim Barkaouri, chercheur au CIRAD), Jardin de France

L’oasis qu’est ce que c’est ? (RADDO), Réseau Associatif de Développement Durable des Oasis

Les oasis sahariennes, rempart menacé contre la désertification (Khaled Amrani), The Conversation, 29 sept. 2020

--

--